Que manger les jours de repos ? Deux tendances s’opposent en ce qui concerne la gestion de la ou des journées où on ne court pas. D’un côté se trouvent ceux qui mangent de tout sans discernement, dans les mêmes quantités que les jours où ils effectuent des séances. De l’autre se rangent les adeptes de « no pain, no gain ! » Si on ne court pas, on n’a pas besoin d’apporter autant d’énergie à son organisme. Et à la limite, pour être plus léger ou plus légère, on se restreint pour maigrir. Où se situer ?
LES EFFETS DE L’ENTRAÎNEMENT SONT DURABLES :
Une idée, fortement implantée dans le milieu du vélo a longtemps prévalu : On ne mange que proportionnellement à son activité de la journée. Les soigneurs des équipes « pro » ont même, par tradition, poussé le bouchon très loin, soumettant à la pesée quotidienne les coursiers de leur équipe. Toute prise de poids intempestive était alors (et est souvent encore) attribuée à un « excès » alimentaire et le coupable puni pour la journée, se voit contraint de se restreindre ; Il sera notamment, comme un gosse, privé de dessert !
Les variations de poids enregistrées d’un jour à l’autre ne semblent en fait pas du tout répondre à une logique calorique. Et de fait elles n’y répondent pas. La seule perte de poids durable et « utile » chez celui ou celle qui veut s’alléger, c’est celle qui porte sur la masse grasse. Or sa baisse tangible ne peut s’observer visuellement qu’à l’échelle de la semaine ou du mois. Certainement pas de la journée. Tout écart supérieur à 500 g, d’un jour à l’autre, reflète donc autre chose que l’effet d’excès alimentaires éventuels. Il peut par exemple s’agir des fluctuations de la teneur en eau de l’organisme.
Chaque séance, a fortiori si on ne boit pas durant son déroulement, occasionne une déshydratation variable, qui est perçue par notre organisme comme une agression. N’oublions pas que toute perte en eau supérieure à 2% du poids corporel peut déjà se traduire par une perte de force et d’endurance. Il paraît donc logique que pour répondre à cette situation défavorable notre corps mette en place une stratégie de protection. Elle se révèlera d’autant plus efficace que l’entraînement régulier conduit à des adaptations durables.
L’une de ces transformations consistera en une aptitude accrue à préserver les minéraux et à retenir l’eau dans les tissus après une session, en empêchant son élimination rénale. Une substance, nommée « hormone anti-diurétique » (ADH), participe activement à ce processus, qui peut expliquer pourquoi certains champions mettent autant de temps, parfois, à satisfaire aux exigences du contrôle anti-dopage. De plus, divers travaux ont montré que si, simultanément, on apportait un surcroît de sodium (sel de table), en récupération, au-delà de la compensation des pertes occasionnées, le volume plasmatique pouvait s’accroître. Un travail mené en 1996 montra ainsi qu’un gain de poids proche du kilo pouvait survenir dans ces conditions. Et cela moins de 12 heures après l’arrêt de l’activité. Plus la déshydratation occasionnée a été importante, plus l’effort a duré, plus on apporte de sel en récupération, et plus le gain pondéral peut être significatif. Cela ne sera pas au détriment de l’athlète, au contraire même, puisque cette dilution du sang s’accompagnera d’une diffusion plus facile de celui-ci dans nos vaisseaux et capillaires.
D’autres phénomènes peuvent conduire, notamment chez les femmes, à des problèmes de rétention d’eau au sein des cellules ; la première femme au classement du « Trail des Citadelles » accusa ainsi, le lendemain de sa victoire, une prise de poids proche du kg, malgré près de sept heures passés dans les sentiers boueux de l’Ariège. Ceci semblait exclusivement liée à un tel problème, plus fréquent chez les femmes du fait d’un statut hormonal particulier.
La mise en réserve de glycogène au sein des muscles peut également donner lieu à une prise de poids. Celle-ci constitue même la preuve de la bonne réalisation du régime enrichi en glucides qu’on propose lors des trois jours qui précèdent une épreuve. D’où vient cette prise de poids ? D’une double origine. Il s’agit d’une part des stocks de « super » élaborés dans les muscles.
Et d’autre part, pour chaque gramme de sucre ainsi mis en réserve, ce ne sont pas loin de 3 g d’eau qui suivent obligatoirement. Faites le compte : 400 à 500 g de glucides mis en réserve entraînent avec eux 1,2 à 1,5 kg d’eau. Au total, on peut gagner jusqu’à deux kg. Pour notre bénéfice, même si effectivement, au tout début d’un effort entamé dans ces conditions, on ne se sent pas obligatoirement des plus légers. Mais une fois cette impression dépassée, l’avantage apparaît clairement.
Ce processus de mise en réserve survient en réponse à l’entraînement à chaque fois qu’on a entamé les réserves de glycogène lors d’une séance qualitative (seuil, VMA, etc…) Dans les heures qui suivent, manifestant une plus grande avidité pour les sucres, les muscles vont capter l’essentiel de celui qui passe à proximité des fibres pour les stocker. Comme on l’a vu, de l’eau se met également en réserve.
Ce processus ne se déroule pas de manière constante au cours du temps. Il est au contraire très efficace dans les 6 à 12 heures qui suivent la fin d’une telle séance. Par contre, 24 heures plus tard, la capacité des muscles à stocker est quasiment revenue à la normale. Cette « norme » sera cependant, pour un athlète bien entraîné, largement supérieure à ce que le muscle d’un sédentaire peut mettre en réserve. Ce qui signifie que, durant tout ce temps, le risque de voir une fraction de cet apport glucidique se diriger vers les stocks adipeux et se transformer en graisses est faible.
PASSER A LA POMPE AVANT DE FAIRE TOURNER LE MOTEUR :
Ces considérations amènent deux réflexions. La première, c’est qu’il est complètement inutile, et neuf fois sur dix complètement négatif, de se peser quotidiennement. Généralement, les observations relevées seront au mieux ininterprétables, et au pire démoralisantes pour celui qui croira y lire la révélation de son « problème de poids ». Les seules fluctuations intéressantes, si tant est qu’elles doivent survenir, concernent la masse grasse, sujette à des variations sur de plus longs délais, comme on l’a dit. Se peser une fois tous les dix jours, au maximum, est largement suffisant pour les apprécier.
Monter plus souvent sur la balance ne sert à rien, hormis à l’occasion de sorties longues ou des premières chaleurs ou ce contrôle vise alors à tout autre chose : s’assurer de la justesse de ses apports hydriques à l’effort et en récupération.
La seconde c’est que pour répondre au problème que pose l’élaboration d’une ration appropriée les jours de repos, on ne doit pas réfléchir à l’échelle de la journée, mais au contraire à celle de la semaine. Penser aux délais entre deux séances consécutives, au temps nécessaire à reconstituer ses réserves de « super », et aux apports à réaliser pour récupérer d’une séance, pour en optimiser les effets et bénéficier de la suivante. Pour être clair, dès lors qu’on effectue quatre séances hebdomadaires (et davantage), il faut considérer qu’on se trouve toujours, en fait, entre deux séances. Toute journée de repos se trouve coincée entre deux jours d’entraînement, sauf exception, et on peut alors considérer que sa première moitié couvre éventuellement la fin de la période de récupération de la première, et qu’ensuite on prépare déjà celle du lendemain. Il n’y a donc aucune raison de restreindre un groupe d’aliment particulier ou de cesser de manger alors qu’on a encore faim. Il n’y a pas de justification non plus à se lâcher et à manger davantage que les jours d’entraînement. Cette dernière attitude, plus fréquente qu’on pourrait l’imaginer a priori, peut alors traduire l’existence d’un vrai fond de frustration chez le coureur ou la coureuse. Leur alimentation est-elle trop organisée autour de la course ? Est-elle trop restrictive ? Trop génératrice de frustrations ?
Ou la faim est-elle masquée par d’éventuelles toxines abondamment accumulées, comme après une séance lactique ? Cela se peut.
Dès 1970 le Pr Creff avait remarqué que le contenu énergétique de la ration, après une épreuve, n’était corrélé à la dépense occasionnée que le surlendemain de la course. Comme si l’organisme mettait au premier plan l’élimination, et que c’est seulement une fois le terrain nettoyé que la compensation des dépenses s’effectue intégralement. Toujours est-il qu’une ration trop souvent restrictive prépare la survenue de futurs dérapages. Les journées de repos constitueront alors l’occasion de laisser libre cours à ses pulsions alimentaires. Dans ce contexte, celles-ci échappent à tout contrôle, s’orientant préférentiellement vers les aliments à saveur sucrée
A l’occasion des journées de repos on cherchera donc à conserver une ration en conformité avec le modèle de la pyramide équilibré, en se référant à une autre règle simple : « j’ai faim, je mange. Je n’ai plus faim je m’arrête, sauf si c’est très bon… » Exercice apparemment d’une simplicité extrême. Beaucoup y échouent cependant, parce que manger répond à des motivations complexes, qu’on ne maîtrise pas forcément. Et cela n’a rien à voir avec la volonté. C’est une simple affaire de neurotransmetteurs c’est-à-dire, finalement de nutrition cérébrale. Nous y reviendrons prochainement.
Certains aliments très intéressants sur le plan nutritionnel, et dont la digestion n’est pas compatible avec la réalisation d’une séance dans les heures qui suivent, ou susceptibles de fournir des constituants affectant la récupération, trouveront avantageusement leur place à nos menus ces jours de repos. Le boudin (aliment dont le taux de fer dépasse tous les autres), la viande rouge, les légumes secs, le chou et ses dérivés, l’ail, l’oignon, tous reconnus comme des aliments « santé », seront à privilégier lors des journées de repos.
Comment, en pratique, construire ses menus ces jours-là ? Le petit déjeuner comprendra des glucides, notamment si on s’est entraîné la veille, un fruit, un laitage (selon ses tolérances) et éventuellement une protéine animale (œuf, jambon, bacon), ceci afin de mieux gérer les envies alimentaires, d’optimiser la vigilance et d’optimiser la récupération. Le repas du midi sera à dominante protéique (viande, volaille, lapin boudin, foie), servi avec des légumes verts et une portion moyenne de féculents, alors que celui du soir privilégiera les féculents. Ceci servira notamment à finir de restaurer les réserves de glycogène en vue des séances à venir. De la même manière qu’on accomplit le plein d’essence la veille de son départ en vacances…
Les journées de repos seront aussi l’occasion de s’hydrater abondamment, surtout en regard du nombre d’athlètes chez qui les apports hydriques se situent à un niveau insuffisant.
Si vous coupez deux jours consécutifs, la seule adaptation à ajouter, c’est la réduction des portions de féculents le midi. Ce n’est que si vous arrêtez de courir trois jours consécutifs ou davantage, ou si vous avez objectivement du poids à perdre, qu’on envisagera la situation différemment. Dans le premier cas, celui de la coupure ou de la mini-coupure, tout sera fonction des éventuels déficits à corriger, de la fatigue éprouvée, et de l’écart possible au poids de forme. Il n’existe pas de réponse univoque.
Dans le second cas, celui d’un surpoids objectif à éliminer, on envisagera d’opter pour une approche soft, équilibrée, mettant plus particulièrement l’accent sur la chronologie alimentaire.
En pratique, on gardera un petit déjeuner équilibré, on prévoira un déjeuner à dominante protéique (si possible sans féculent), on programmera un goûter à base de fruits. Enfin, le repas du soir alternera féculents (de deux à quatre fois par semaine, selon le niveau de consommation initiale et d’autres critères tels que les besoins irrépressibles de sucre), les repas à base de poisson… et une bonne bouffe hebdomadaire entre amis, où il sera plus question de se faire plaisir que de se goinfrer et de perdre tout contrôle.
Le sens de la mesure et de la pondération est souvent ce qui manque le plus lorsqu’il s’agit de gérer son alimentation en période de repos. Les déficits antérieurs, le stress occasionné, la fatigue et de mauvaises habitudes solidement ancrées jouent un large rôle dans la survenue de ces dérapages. Tout comme d’inutiles privations lors d’autres jours sans entraînement !
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
Crédit photos: SDPO – Depositphotos
SDPO-mag 16 rue Jean Cocteau 95350 Saint Brice sous Forêt Tél : 01 39 94 01 87
Site Internet : www.sdpo.com Email : sdpo@sdpo.com