" Si courir ou marcher était notre seul but, nous passerions à côté de moments inoubliables "

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Certains concurrents prenant part à des épreuves de trail se plaignent de ne pas avoir faim dans les heures qui font suite au terme de l’épreuve. Pourtant, ils ont couru pendant de nombreuses heures, et la dépense calorique occasionnée devrait, pense-t-on, justifier qu’ils aient faim. Comment ce paradoxe s’explique-t-il ?

LA SENSATION DE FAIM EST UN PHÉNOMÈNE TRÈS COMPLEXE :

Sans titre 1L’acte alimentaire fascine les chercheurs. Il est à la fois très précis et très fuyant. Précis parce que si la  prise énergétique dépassait de seulement un sucre quotidien le niveau de nos dépenses on gagnerait, en fin d’année, un kg de trop. On comprend donc que les mécanismes qui régentent la sensation de faim font preuve d’une grande précision. Fuyant parce que, en situation normale (c’est-à-dire à distance d’un effort), seulement 10 à 12% de ce qu’on avale est directement oxydé dans les heures qui suivent. Le reste sera stocké et utilisé plus tard. En fait, l’intérêt du repas n’est pas précisément dans la compensation immédiate et complète de la dépense calorique occasionnée. Au cours de celui-ci, divers paramètres sont repérés et intégrés dans le grand ordinateur central que représente notre cerveau, et confrontés aux messages en provenance de divers tissus, informant des besoins en divers éléments (eau, sel, sucre, acides aminés, etc…). Ceci permet de régler finement la prise alimentaire de façon à assurer par anticipation une bonne concordance entre ces différentes informations, alors même que le contenu du repas n’a pas commencé à être digéré.

Le tube digestif participe à ce système d’information très élaboré ; des récepteurs sensibles au glucose, au sodium, à la distension des viscères, envoient des trains d’influx vers le cerveau. On sait par exemple que la salivation devant un plat succulent, par un processus de cet ordre, déclenche une sécrétion d’insuline  qui prépare au stockage ultérieur des nutriments fournis par le repas. C’est un des fameux réflexes « pavloviens ».

Outre ces messages de nature nutritionnelle, notre cerveau prend en compte d’autres informations très importantes, telles que la température des tissus, le taux d’adrénaline (libérée à des quantités qui dépendent de l’intensité de l’effort et de la chaleur extérieure au moment où celui-ci a été accompli), la présence de certains déchets, l’acidose. Évidemment, au terme d’un effort de longue durée, certains de ces facteurs peuvent avoir été fortement modifiés. Ceci pourra alors avoir un retentissement sur notre prise alimentaire, tant dans nos choix pratiqués (parfois très étonnants), que dans le délai qui retarde la prise d’aliment ou dans les portions consommées. La façon dont l’effort aura été géré, notamment sur le plan de la prise des ravitaillements, mais aussi l’état de fraîcheur et le statut nutritionnel préalable du coureur influeront sur la survenue éventuelle de ce refus des aliments, ou au contraire sur l’apparition de pulsions incontrôlables, se manifestant sitôt la ligne d’arrivée franchie. Chacun de nous va mettre en action un comportement qui lui sera propre, selon l’importance de chacun de ces éléments décisifs.

L’ULTRA, DISCIPLINE A RISQUE…

Scott Sharick UTA 2016 (26)Dans le cadre d’efforts d’ultra, deux problèmes semblent plus particulièrement prédisposer à cette anorexie temporaire. Le premier est relatif  à la déshydratation. Celle-ci va pouvoir donner lieu à une hyperthermie très peu propice à la consommation de solides dans un bref délai après l’effort.

Se forcer dans ce contexte-là conduit à un important risque de nausées et de vomissements, quelles que fussent les denrées ingérées. Elle va également favoriser une augmentation très significative de la perméabilité des intestins. Cette anomalie peut provoquer divers soucis. On pense notamment au passage dans la circulation de certains éléments fabriqués par les bactéries de notre flore intestinale et qui, normalement, restent dans les intestins. Il s’agit des endotoxines, dont l’afflux dans notre organisme a fait l’objet de travaux très aboutis, notamment de la part de Tim Noakes.

On leur attribue divers effets, torpeur, confusion, et refus de s’alimenter. Préalablement à ce rejet des aliments proposés à l’arrivée, l’athlète se trouvant dans ce cas aura peu à peu éprouvé un dégoût croissant envers les boissons énergétiques, sucrées ou non.

            Le second est une modification de la chimie du cerveau, du fait que certains nutriments importants pour la fabrication de « neurotransmetteurs », en particulier de ceux qui régissent la prise alimentaire, sont consommés à des taux anormalement importants par les muscles. Ce phénomène, lui aussi d’instauration progressive, contribue tout autant que le précédent à cette anorexie de récupération parfois décrite.

DES CONSÉQUENCES DÉFAVORABLES :

Scott Sharick UTA 2016 (10)Une récupération optimale nécessitait une prise précoce, en fait le plus tôt possible après la fin d’une compétition, d’éléments indispensables à sa mise en œuvre. Il s’agit notamment de glucides et de protéines. Plus on tarde à réaliser ce premier apport, moins on récupère et plus la régénération demande du temps. Dans certains cas, ce « timing » inapproprié fait le lit de problèmes plus sérieux, infections  (un coureur des « Comrades » sur deux, spontanément, présente des signes d’infection la semaine qui suit l’épreuve mythique), inflammation, blessure, et ce d’autant plus que la perméabilité intestinale se sera pérennisée. Cela étant, forcer quelqu’un à manger lorsque son état, à l’arrivée de l’épreuve, ne le permet pas, n’est pas une solution. Mais cette impossibilité réelle à s’alimenter n’augure rien de bon.

La fatigue qui s’ensuivra ne se traduira pas seulement par l’impossibilité de reprendre rapidement l’entraînement. De toute façon, a priori,  dans cette situation-là, il est rare qu’un coureur d’ultra ait envie de remettre çà tout de suite. Ou alors inquiétons-nous de sa santé mentale. Mais cette fatigue s’exprimera aussi dans la vie de tous les jours, et cette asthénie ne connaîtra pas forcément de date butoir à sa dissipation.

Plusieurs années après l’épisode de fatigue chronique qui précipita la fin de sa carrière au plus haut niveau, le marathonien Alberto Salazar racontait que non content de ne plus se sentir l’énergie minimale pour faire des footings d’entretien, il lui arrivait régulièrement de piquer du nez au travail et de s’endormir sur place… sans parler des efforts de concentration extrêmes qu’il devait fournir pour rester à peu près performant dans son activité professionnelle.

            La vulnérabilité aux infections, un terrain inflammatoire chronique, se traduisant par tout un tas de problèmes en « ite », constitueront la trace durable de cette fatigue devenue chronique. L’ampleur des dégâts occasionnés, leur durée, ne dépendront alors pas tant du niveau du coureur concerné que de la façon dont il aura géré l’avant, le « pendant » et l’après-course. D’où l’importance d’aborder maintenant cet aspect des choses.

UNE STRATÉGIE A PEU PRES PRÉVENTIVE :

Nul ne peut affirmer qu’il détient le secret qui va permettre, à coup sûr, de ne plus faire une moue dédaigneuse au-dessus du buffet d’arrivée lors de vos prochaines courses. Mais connaissant les causes les plus fréquentes de cette anomalie, il reste possible d’intervenir pour les prévenir autant qu’on pourra.

La première règle qui me paraît importante à tenter de faire passer, c’est curieusement l’incorporation quasi systématique d’aliments riches en protéines au petit déjeuner quotidien. A quoi cela sert-il ? Cette stratégie qui s’appuie sur de récentes acquisitions dans le domaine de la chronobiologie offre plusieurs avantages ; d’une part, ce jambon ou  ces œufs délivrent certains acides aminés qui participent au maintien de l’équilibre des neurotransmetteurs, ce qui semble mieux protéger en cours d’effort de l’apparition d’un état de torpeur, de confusion ou d’anorexie.

De plus, ce breakfast à l’anglaise permet d’accroître la part des protéines disponibles en début de journée, ce qui va contribuer à une réparation tissulaire optimale. Car ne perdons pas de vue que pour prendre part à un trail il faut, au préalable, effectuer une préparation conséquente, dont l’une des caractéristiques est d’occasionner invariablement une casse musculaire indéniable. Cette prise alimentaire ne se substituera pas à un produit particulier, même si on encourage fortement nos lecteurs à mettre un sérieux bémol aux viennoiseries et aux repas hyper-sucrées avalés dès potron-minet. Mais l’œuf brouillé peut se réconcilier avec le müesli et le yaourt.

tagliatelle cooked with vegetables

La nature de l’alimentation pré-compétitive va aussi jouer un rôle clef. Le maintien d’un apport protéique et lipidique normal lors des derniers jours avant l’échéance est un principe à intégrer. Pas question de supprimer la volaille ou le poisson, encore moins de faire la chasse aux huiles. Et bien sûr, il sera judicieux d’accroître la part de glucides dans votre alimentation en même temps que vous réduirez à quasiment rien du tout votre entraînement des trois derniers jours. Ceci vous offrira la possibilité de mettre en réserve suffisamment de glycogène.

Grâce à cela il sera épuisé plus tardivement au cours de l’épreuve, et les stimuli anorexigènes seront moins déterminants au moment où la récupération devra débuter. En outre, cette quasi suppression de la pratique de la course lors des dernières 72 heures (surtout si vous vous rangez parmi les vétérans) assurera à votre organisme deux autres avantages ; d’une part elle entraînera une relative fraîcheur mentale, due à un parfait équilibre de la chimie cérébrale.

D’autre part, vous vous doterez d’une chance supplémentaire de réparer les ultimes dégâts laissés, au niveau musculaire, par votre préparation, faute de quoi des déchets et des toxines seront prématurément libérés dans votre organisme fragilisé (simultanément, vous aurez mal aux jambes), et ce seront autant de messages susceptibles de freiner ensuite votre prise alimentaire.

            Pensez également à saler votre alimentation au cours des dernières 48 h. Ceci contribuera à un volume plasmatique optimal, ce qui signifie que l’ampleur et les conséquences de la déshydratation pourront être moindres. Ceci sera vrai, évidemment dans la mesure où vous réhydraterez correctement en cours d’exercice.

            C’est évidemment le point-clef, le choix des boissons. De l’eau et des glucides à intervalles réguliers, ceux-ci assurant à la fois une meilleure réhydratation cellulaire, l’apport d’un carburant d’appoint aux muscles, ainsi qu’aux intestins qui en ont besoins pour préserver une relative étanchéité. Selon les cas, notamment chez ceux qui redoutent la survenue brutale d’un état de fatigue mentale, la présence de peptides riches en acides aminés ramifiés à ces boissons sera un « plus ».

ATTENTION AUX SALES HABITUDES…

Ce souci de préserver autant qu’on le peut l’intégrité de l’écosystème digestif doit amener à parler de deux agents très néfastes. Le premier, ce sont les antibiotiques. Il ne s’agit pas ici de relancer le débat polémique sur une utilisation parfois jugée exagérée. Mais de souligner qu’à chaque fois qu’ils sont prescrits ils détruisent notre flore digestive. Ceci accroît le risque de voir ses intestins perdre leur étanchéité à l’effort.

Le second, ce sont les anti-inflammatoires dont les enquêtes menées dans le milieu de l’ultra depuis une quinzaine d’années (course et triathlon), nous enseignent que près de la moitié des participants à des épreuves de longue durée en consommes régulièrement, voire le jour de la course. Or ces produits favorisent la perméabilité des intestins, et de là le possible passage de molécules antigéniques dans le sang. Parmi elles figurent les endotoxines dont je vous parlais plus haut. Dans le champ de recherche où je travaille aujourd’hui, celui de l’écosystème digestif des sportifs, la banalisation de ces médicaments est désormais perçue comme une calamité. Une prise d’anti-inflammatoires justifiée (car il en existe, je suis moi aussi bien placé, en tant que coureur récemment blessé, pour le savoir), justifie aussi un repos absolu, consacré à la cicatrisation et à la restauration de l’écosystème digestif. Avaler de l’aspirine la veille au soir des « Templiers » ne constitue pas un bon plan…

« APRÈS L’EFFORT… » (REFRAIN CONNU) :

Enfin, le dernier volet de la prévention de cette inappétence qui suit l’effort concerne la stratégie de récupération à mettre en jeu. Du fait que l’ingestion de solides n’est pas forcément tentante, et peu recommandée tant que les intestins n’ont pas retrouvé une irrigation normale, on privilégiera les boissons énergétiques sitôt la ligne d’arrivée franchie, éventuellement en alternance avec des jus de fruit dilués (toujours par souci de respecter le confort intestinal) et des eaux gazeuses sodées bicarbonatées. L’apport de « ramifiés » à ce moment-là n’apparaît pas non plus idiot.

Cette prise de boisson, en modifiant l’état chimique de l’organisme, va avoir comme conséquence que les différents signaux arrivant  au cerveau, et indiquant qu’il est urgent de manger, vont enfin être pris en compte. Les diverses perturbations apparues à la suite de l’effort parasiteront moins ces pulsions à manger. Le repas de récupération devra, en théorie, être « hypotoxique », c’est-à-dire à dominante de végétaux (fruits, légumes, soupes, féculents, légumes secs), d’œufs et de laitages bien tolérés. Une prise d’alcool conviviale ne sera pas forcément incompatible avec cette approche… qui peut rester tout à fait théorique si votre repas d’après-course est élaboré, comme chez nos amis de l’Euskal Trail, par un traiteur qui se met en quatre pour vous faire apprécier les spécialités basques. Gardez cependant en tête que les premières étapes de la récupération, notamment la réhydratation et toutes les étapes préalables à la course, seront encore plus cruciales si vous souhaitez ne garder que de bons souvenirs de ce repas d’après-course… qui est aussi l’une des raisons pour lesquelles on court…

Portrait Denis Riche 4

Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition

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