UNE TAILLE PALEOLITHIQUE par Denis Riché

De nouveaux régimes amaigrissants voient régulièrement le jour. Ils promettent la sveltesse sans effort. Puis ils disparaissent après avoir fait la preuve de leur inefficacité à long terme. On ne connaît qu’une exception à la règle: le régime paléolithique. Il existe depuis 200.000 ans!

Il y a quelques années, le décryptage du génome humain était présenté comme le grand projet qui allait révolutionner la médecine. Pas de chance ! On allait découvrir au fil des travaux que les séquences codantes de l’ADN (appelées exons) n’étaient pas les seules à rentrer en ligne de compte. Il fallait aussi mesurer l’influence des parties non codantes de l’ADN (appelées introns) dont on pensait autrefois qu’elles ne servaient à rien, si bien qu’on les avait appelées l' »adn poubelle » (en anglais « junk DNA »). Or il se trouve que ces parties non codantes, soit 98% des chromosomes, sont déterminantes pour activer ou désactiver les 30.000 gènes répertoriés.

Ces introns agissent à la manière d’interrupteurs. Bref, l’objectif que l’on s’était fixé, c’est-à-dire comprendre les règles qui président à la production des protéines, se révélait mille fois plus compliqué que prévu et les thérapies géniques que l’on croyait si proches prenaient à nouveau le large. Il faudra beaucoup de courage aux généticiens du futur pour démêler le jeu des influences et comprendre enfin les mécanismes de synthèse.

Ceci dit, les travaux réalisés jusqu’à présent n’en demeurent pas moins riches d’enseignements. Ils ont notamment permis l’édification d’une nouvelle science, la paléogénétique, qui consiste notamment à comparer les codes génétiques des humains aux différentes périodes de leur histoire.

On a pu interroger ainsi des momies égyptiennes et mexicaines, vieilles de plus de 8000 ans ou des ossements retrouvés à Taforalt dans l’Ouest marocain, vieux de plus de 12.000 ans. Certes, il y a peu de chance que ses études permettent de recréer de toutes pièces un homme préhistorique comme on a pu le voir dans Jurassic Park. Mais elles sont très riches d’informations sur notre évolution, les rencontres entre les différents groupes et les grandes migrations.

En remontant plus loin dans le passé, on aborde des thématiques qui font débat dans la société scientifique comme de savoir par exemple si nos ancêtres Homo sapiens se sont accouplés ou non avec leur (presque) semblables néanderthaliens. Certains chercheurs en sont persuadés et ils en donnent pour preuve la part de gènes néanderthaliens que nous portons encore en nous. D’autres réfutent l’hypothèse. Pour eux, ces gènes ne seraient qu’un héritage commun d’un très lointain ancêtre africain, disparu il y a un demi-million d’années. Les avis sont partagés. Une chose se dessine cependant avec certitude. Notre espèce serait apparue dans sa forme quasiment définitive, il y a environ 170.000 ans. Et si l’on prend des références plus récentes, comme par exemple la venue des Homos sapiens en Europe lors du paléolithique supérieur, il y a 40.000 ans, on ne trouve plus guère de différence avec nous ! Cela signifie que si, par miracle, on héritait demain d’un petit bébé Cro-Magnon, rien ne le distinguerait de ses copains de crèche.
Au bout du compte, il aurait autant de chances que les autres de devenir informaticien, cuisinier, footballeur ou peintre en bâtiment.

Cela fout la gêne !
Les principes de l’évolution dévoilés par Darwin nous enseignent que les  caractères sont fixés dans le bagage génétique des espèces s’ils apportent un avantage dans le fameux « struggle for life » (lutte pour la survie). Il n’existe aucune raison valable de penser que cette règle ne s’applique pas aux hommes. On peut donc en déduire que nos gènes ont été sélectionnés eux aussi pour fonctionner parfaitement dans des conditions de vie très différentes de celles d’aujourd’hui. Imaginez-vous un instant ce que devait être le quotidien de ces chasseurs du Paléolithique: pister des animaux sur des kilomètres, puis s’arranger pour les tuer avec des armes rudimentaires. Ensuite, il fallait se coltiner la découpe et le transport de la bête jusqu’au campement. Tous ces efforts exigeaient une dépense énergétique deux ou peut-être même trois fois supérieure à la nôtre aujourd’hui.

Les femmes menaient une vie à la dure. Elles passaient leurs journées à ramasser des baies, déterrer des racines et à cueillir des fruits, tout en gardant un œil sur les enfants. De retour au campement, il leur revenait aussi de confectionner des outils, des armes, des vêtements et toutes sortes d’ustensiles pratiques. Puis il fallait transporter l’eau, chercher le bois pour le feu et préparer les bagages à chaque nouveau départ. On estime que ces tribus couvraient entre cinq cents et mille kilomètres par an. Bref, les gènes dont nous avons hérité sont ceux de véritables forces de la nature. Or que faisons-nous de ce fantastique héritage? Rien ou presque. Notre société n’exige plus de recourir à la force physique pour survivre. Nous ne sommes plus exposés à la faim, à la soif, au froid, à la fatigue. Les gènes qui permettaient de surmonter ces pénibles situations de vie perdent leur raison d’être et lorsqu’ils s’expriment, c’est généralement de façon contre productive.

Prenons l’exemple de notre machinerie énergétique. Pendant des millénaires, elle s’est développée de façon à gagner toujours plus d’efficience.
Pour survivre aux famines, il fallait évidemment tirer le plus d’énergie possible des aliments et réduire concomitamment les dépenses de fonctionnement. Aujourd’hui, on explique les problèmes de poids que rencontrent nos sociétés par la persistance de cette ancienne adaptation. Ainsi nous sommes nettement plus gros que nos glorieux ancêtres. Et nettement moins robustes! A l’échelle d’une vie, cette situation s’apparente à celle du sportif qui, arrivé à l’âge de la retraite, stoppe soudainement le sport tout en conservant ses anciennes habitudes alimentaires. En quelques années, il explose littéralement et se retrouve bientôt dans un état de santé pire que s’il n’avait jamais été actif. Dans un contexte plus général, ce phénomène caractérise le sort des populations qui, au contact de la modernité, ont brutalement abandonné leur mode de vie traditionnel.

Des études ont été menées chez les Amérindiens, les Aborigènes, les Bochimans, les populations d’Amazonie, de la banquise ou des îlots du Pacifique.
Partout, ce furent d’effroyables bouleversements avec l’émergence de pathologies inconnues auparavant comme l’obésité et le diabète.

L’entrée dans la vie inactive
En 1987, le professeur Boyd Eaton publiait un article dans le  New England Journal of Medicine qui invitait le lecteur à repenser son alimentation sur le modèle de celle des hommes du Paléolithique.

Pour cet anthropologue (Université Emery à Atlanta), il fallait en somme nous remettre en conformité avec nos gènes. Le régime paléolithique qu’il préconisait impliquait d’avaler pas moins de deux kilos de fruits et légumes par jour, agrémentés d’un peu de viande. En revanche, on devait renoncer aux laitages et aux céréales. Surtout, on devait restreindre sa consommation de sucre.

En effet, une substance aussi raffinée était forcément ignorée de nos ancêtres qui ne connaissaient que le miel. Et encore ! Pour s’en procurer, il fallait braver les essaims d’abeilles. Pas sûr qu’ils en mangeaient tous les jours au petit-déjeuner. Bref, les hommes du paléolithique ne se trouvaient quasiment jamais en situation de devoir réagir à une élévation brutale de leur glycémie comme celle que l’on connaît pratiquement tous les jours à chaque fois qu’on croque une barre de chocolat ou que l’on flûte une canette de soda.

Nos anciens gènes ne sont pas adaptés à ce bouleversement. Le pancréas répond par une décharge d’insuline qui présente pour effet néfaste à long terme d’induire des résistances au niveau cellulaire, à l’origine de spectaculaires prises de poids, et finalement d’épuiser la glande dans la seconde partie de l’existence. La prévention de l’obésité et du diabète figure donc au premier rang des préoccupations de ceux, de plus en plus nombreux, qui se font adeptes du régime paléolithique. Plusieurs études rapportent des effets intéressants sur d’autres pathologies comme la polyarthrite, la maladie de Crohn, la sclérose en plaques et toutes ces affections qui découlent d’un dérèglement du système immunitaire. A moins qu’il ne s’agisse simplement de rester en forme. Tout le monde est concerné. Corne d’Auroch!

Le mystère de la myopie

La myopie reste un mystère dans la mesure où elle aurait constitué un handicap de vie important pour nos ancêtres qui logiquement se seraient vus éliminer par l’évolution. Imaginez la vie d’un chasseur bigleux aux temps de la Préhistoire. Le pauvre! Il devait systématiquement revenir bredouille au village et mendier sa pitance auprès des autres chasseurs dotés d’une meilleure vue ou alors se contenter de manger des fruits.
On suppose aussi qu’à ces différentes époques, une mauvaise acuité visuelle laissait peu de chance de vivre vieux compte tenu des dangers de l’environnement dont on n’avait qu’une vision floue:
– « Il y a un tigre là, devant toi! »
– « Un Tigre! Où ça? »
Trop tard!

On s’étonne finalement qu’une tare aussi sévère ait survécu aux millénaires d’évolution au point de concerner aujourd’hui une grande partie de l’humanité. Y aurait-il des avantages à la myopie? Peut-être. Des études ont ainsi montré que les myopes réalisaient en moyenne de meilleurs scores aux tests d’évaluation du quotient intellectuel. Comme si les facultés du cerveau étaient proportionnelles aux dimensions de l’œil. Ce sont des résultats auxquels on aime bien faire référence. Surtout quand on est myope! Autre avantage possible de la myopie: on garde plus longtemps une meilleure vue de près. En vieillissant, le cristallin se fatigue et la mise au point se fait plus difficilement sur les objets proches. Le terme presbytie a été d’ailleurs inspiré du grec ancien « presbutos » qui veut dire « vieillard ».

Ce phénomène se produit aussi chez les myopes. Seulement, chez eux, il vient compenser le défaut initial de taille. Si bien que les myopes retirent souvent leurs lunettes pour lire le journal à l’âge où d’autres doivent impérativement les chausser. On peut imaginer que par le passé, cette caractéristique jouait en leur faveur lorsqu’il fallait se prêter à des travaux de précision comme coudre des vêtements, fabriquer des armes, tailler des bijoux. Une dernière explication à cette survivance de la myopie dans les populations modernes a vu récemment le jour qui fait référence à l’alimentation. Pour les spécialistes du régime paléolithique, la myopie trouverait sa source dans notre énorme consommation de sucres raffinés: +/- 35 kilos en France, 70 kilos aux Etats-Unis. Il s’ensuivrait une libération chaotique d’insuline qui perturberait à son tour la sécrétion des hormones de croissance impliquées dans le développement du globe oculaire. Cette hypothèse repose sur des données expérimentales mais aussi sur des observations épidémiologiques. Loren Cordain remarque par exemple que les anciennes populations Inuits qui, traditionnellement ne consommaient pas de sucre blanc, n’avaient pratiquement pas de problèmes de myopie (seulement pour 1 ou 2% de la population). L’occidentalisation des mœurs et les changements alimentaires ont eu pour effet d’élever cette proportion à 60% aujourd’hui. En l’espace d’une génération seulement! Et il donne encore d’autres exemples de ce bouleversement puisés partout sur la planète. Selon lui, il ne fait aucun doute que le sucre nous brouille la vue !

Une préhistoire à portée de main

L’étude des squelettes permet de se faire une idée relativement précise du mode de vie à la préhistoire. Pour compléter ces données, on se base également sur celui des ethnies qui ont conservé un mode de vie nomade très proche de celui des premiers hommes. Au fil des années, on a accumulé de la matière à leur propos grâce notamment au travail des ethnologues. On possède aujourd’hui des données sur 181 de ces sociétés que l’on appelait « primitives » autrefois.
Cela permet de faire des comparaisons étonnantes, notamment sur la part respective de la viande (65%) et des végétaux (35%) dans leur mode alimentaire. On retrouve ces chiffres pratiquement partout et cela devait être aussi ceux de nos ancêtres paléolithiques. L’évolution de la part des lipides, protides et glucides est plus difficile à faire dans la mesure où les denrées elles-mêmes ne sont plus tout à fait les mêmes. Nos animaux de boucherie possèdent ainsi une part de graisses (jusqu’à 33% du poids sec) largement supérieure au 3-4% que l’on retrouve par exemple sur les gazelles en Afrique. Les légumes eux-mêmes étaient probablement plus riches en nutriments que ceux que l’on obtient par le biais de l’agriculture intensive. Cela permettait notamment de compenser l’absence de laitages et de fixer assez de calcium pour avoir des os solides. Nous disions que 181 populations ont été étudiées depuis 150 ans. Malheureusement, nombre d’entre elles ont pratiquement disparu aujourd’hui, notamment en raison de terribles problèmes de santé qui coïncident souvent avec l’abandon du mode d’alimentation traditionnel.

Les conseils venus des âges farouches
La diète paléolithique repose sur six principes de base:
– On peut manger des viandes maigres, du poisson et des fruits de mer à volonté
– On peut manger des végétaux sans amidon à volonté
– On renonce aux céréales (blé, maïs, riz)
– On renonce aux légumineuses (lentilles, haricots, soja, arachides)
– On renonce aux produits laitiers
– On renonce aux aliments industriels

Attention, il ne s’agit pas d’un régime à suivre pendant une durée limitée, le temps de perdre les kilos superflus. Il s’agit de préceptes qui doivent guider définitivement les habitudes alimentaires.

Portrait Denis Riche 4

Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition

 

Crédit photos: Shutterstock – Fotolia

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