Les coureurs à pied constituent une population particulièrement exposée aux risques de déficit en fer. On attribue partiellement cette anomalie au problème de l’onde de choc apparaissant lors de chaque contact du pied sur le sol. De récents travaux menés auprès de cyclistes, suggèrent qu’un autre mécanisme pourrait intervenir de façon majeure… Explication.
L’ONDE DE CHOC N’EXPLIQUE PAS TOUT…
L’implication de l’onde de choc s’avère assez facile à comprendre ; à chaque contact du pied sur le sol, une force très importante se répercute à l’ensemble de l’organisme. Sa répétition (combien d’impacts en une heure de course ?), finit par traumatiser certains tissus, notamment les intestins, par ailleurs mal irrigués et les globules rouges. Selon cette théorie, chaque impact propulse certaines de ces cellules sanguines contre les parois des vaisseaux, jusqu’à ce qu’elles finissent par casser. La fréquence plus élevée de déficits en fer chez les coureurs, comparativement aux nageurs ou aux cyclistes, semblent accréditer cette hypothèse.
Mais elle n’explique pas tout et, selon certains spécialistes, elle serait même largement surévaluée. En clair, ce ne serait peut-être pas un facteur aussi essentiel qu’on le pensait jusqu’alors.
Pourquoi cette remise en cause ?
Pour plusieurs raisons. Notamment parce que, dès qu’ils atteignent un volume d’entraînement conséquent et intègrent régulièrement des séances intenses, les adeptes d’autres sports, exempts d’onde de choc, se trouvent eux aussi exposés au risque de déficit en fer. Ainsi rencontre-t-on ce problème chez des nageurs ou chez des adeptes du culturisme, qui pourtant ne courent pas. D’où l’idée qu’un autre mécanisme interviendrait. Duquel peut-il s’agir ? Principalement des turbulences circulatoires. Cette éventualité consiste à dire qu’à force d’être propulsés à grande vitesse (et avec une force importante), dans des vaisseaux parfois très étroits, certains globules rouges sont fragilisés et finissent par casser. De ce point de vue, plus le volume d’entraînement et les intensités seraient élevés, plus le risque de casse pourrait s’accroître. Il restait à le vérifier. C’est ce à quoi s’est attelé un groupe de physiologistes américains et australiens (*). Voyons les grandes lignes de leur travail…
SIX SEMAINES SUFFISENT A METTRE A PLAT VENTRE…
Quinze cyclistes de bon niveau se sont portés volontaires pour cette étude. Leur VO2 Max moyenne est de l’ordre de 60 ml/mn.kg, ce qui correspondrait, s’ils couraient, à une VMA de 16 km/h, ce qui situe leur valeur. Après un test d’évaluation par paliers, réalisé à J0, ces cyclistes sont entrés dans un cycle de 6 semaines de préparation assez lourde, puisque comportant 4 séances hebdomadaires de fractionné, accompli au niveau du seuil.
La première semaine, par exemple, ces séances consistaient en 6 séries de 5 mn (4 jours de suite), 8 fois 4 mn la seconde semaine, 10 fois 3 mn la troisième semaine, et la suivante, 15 fois 2 mn la 5e semaine, et 30 x 1 mn l’ultime semaine de l’expérience.
Les temps de récupération (à 50% de la fréquence cardiaque maximale), étaient d’égale durée, de sorte que chaque session ne dépassait pas l’heure. Certes à première vue ce protocole caricatural n’est pas réaliste, dans le sens où il ne reproduit pas ce qui se passe dans la réalité. Mais çà n’en est pas si éloigné que cela, car un plan classique comporte au moins deux séances de qualité par semaine, dont une est effectuée à une intensité supérieure à celle proposée dans cette étude. En outre, un cycle complet de préparation dure plus de 6 semaines. Toute extrapolation des conclusions de ce travail ne sera donc pas aberrante.
Plusieurs paramètres sanguins furent régulièrement mesurés, de manière à juger de l’évolution des réserves de fer de l’organisme. Un nouveau test d’effort fut effectué à la fin de ces six semaines de travail acharné, et un dernier deux semaines plus tard, à la fin d’une période de régénération, constituée exclusivement de sorties courtes et tranquilles. Qu’est-il ressorti de ce travail ? Que ce travail a amélioré les qualités sportives moyennes de ces sujets. Mais en contrepartie, ces six semaines ont suffi à abaisser significativement les réserves en fer de l’ensemble des membres de ce groupe. La diminution significative du taux de ferritine, qui en-dehors d’épisodes inflammatoires et de certaines pathologies est un bon témoin des stocks martiaux, l’a clairement montré. D’autres variables, comme la capacité de fixation du fer, confirmaient cette tendance.
Wilkinson et ses collègues ont fait une autre observation intéressante : cette baisse survenait indépendamment du niveau des apports alimentaires en fer. En effet, chez certains de ces cyclistes, les apports dépassaient largement les recommandations (théoriques) des experts. Cela ne les mettait nullement à l’abri. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce constat ; d’une part, un effort intensif, sollicitant le métabolisme anaérobie, semble favoriser la mobilisation du fer corporel et, faute d’une récupération suffisante de celui-ci, ses pertes pourraient augmenter, notamment dans les urines et les selles. Les conclusions de plusieurs autres travaux antérieurs semblent d’ailleurs aller dans ce sens.
D’autre part, et il s’agit vraisemblablement du mécanisme le plus influent dans cette histoire, un plus grand nombre de globules rouges seraient détruits. Il faut avoir à l’esprit que ces cellules ont un diamètre de 7 microns, alors que celui des petits vaisseaux qui irriguent les parties profondes des muscles n’est que de 3 microns. Ces transporteurs de l’oxygène doivent donc se déformer pour assurer leur rôle. Or, il semble que cette capacité se perde chez les globules rouges les plus anciens qui, comme à chaque fois qu’un grand âge est en jeu, souffrent d’un manque de souplesse.
D’autres causes nutritionnelles peuvent contribuer à cette rigidité défavorable, nous allons y revenir dans un instant. Toujours est-il que cette rigidité contribue à leur destruction dans la circulation, phénomène défavorable nommé « hémolyse intravasculaire ».
• Ensuite, de telles séances, surtout chez les coureurs à pied, s’accompagnent d’une augmentation de l’inflammation de certains tissus. Elle peut également toucher des territoires anatomiques extérieurs à l’exercice, comme les intestins. Ceci va retentir sur le statut en fer, une moins bonne assimilation de cet élément pouvant alors être redoutée.
• Enfin, on peut suspecter une accélération du transit, d’autant plus nette que l’intensité de l’exercice est élevée.
Toujours est-il que lorsqu’on entreprend un cycle de préparation plus riche en séances intenses, on se trouve exposé à un risque accru de déficit martial. Il reste à le détecter.
COMMENT REPÉRER CE DÉFICIT ?
Quel paramètre faut-il alors prendre en compte ? On prendra en compte la valeur de la ferritine qui, indépendamment des problèmes d’inflammation qui peuvent artificiellement contribuer à l’élever, reflète bien l’état des réserves. On devra entreprendre une correction dès que son taux se trouve sous une valeur seuil. Celle-ci a été récemment réévaluée par un consensus scientifique. Notamment pour les femmes chez lesquelles la population de référence est désormais constituée non pas de jeunes individus, mais d’adultes ménopausées.
C’est la seule situation où une population plus âgée sert de référence dans le domaine de la santé.
Pourquoi ? Parce qu’on s’est aperçu que tant qu’elles demeurent réglées, les femmes possèdent systématiquement un taux de ferritine inférieur à celui des hommes, alors que leur capacité de répondre à l’EPO de l’organisme, entre autres, suggèrent qu’elles n’ont pas un métabolisme du fer différent de celui des mâles.
La cause de cette différence entre les deux sexes, qui s’estompe à 50 ans, est donc exclusivement liée aux pertes menstruelles. C’est une donnée très importante en termes de santé publique, qui dépasse très largement la question des coureuses à pied, d’autant que 90% des femmes en âge de procréer ont des apports inférieurs aux apports recommandés en fer (16mg/j). En effet, avec un seuil désormais fixé à 50 ng/ml, les experts considèrent qu’une fraction très importante de la population féminine passe toute la période de son activité génitale en situation de déficit martial.
Ceci se traduit par des difficultés de récupération, de la fatigue musculaire (jambes lourdes), des troubles de l’humeur, des problèmes infectieux et des troubles du sommeil (**). Une coureuse à pied ayant encore ses cycles et incorporant régulièrement de la VMA et du seuil à son programme se trouve donc face à un risque de déficit tel qu’on considère aujourd’hui que deux sportives sur trois, quel que soit leur niveau, dès lors qu’elles dépassent les trois sorties hebdomadaires, seront confrontées à ce problème au cours de leur carrière…
QUE FER ?
• Une surveillance régulière de la biologie s’impose. Il ne s’agira pas seulement qu’on mesure, chez vous, la ferritine, l’hématocrite ou le coefficient de saturation. D’autres paramètres tels que la transferrine, qui s’élève au-dessus des normes en cas de déficit tissulaire, comme la CRP, témoin de l’inflammation qui permet d’interpréter sans erreur le taux de ferritine, ou enfin comme l’haptoglobine, qu permet de connaître l’importance de l’hémolyse vasculaire, seront indispensables. Si vous vous entraînez au moins quatre fois par semaine, ces paramètres devraient être évalués deux fois dans l’année, trois idéalement.
• Consommer régulièrement des aliments riches en fer, c’est-à-dire des sources de fer héminique, comme les viandes. Les plus intéressants, sur ce plan, sont par ordre décroissant le boudin, le foie, les fruits de mer.
• La complémentation doit être entreprise sous la supervision d’un spécialiste, d’une part parce que le fer pris sans discernement peut favoriser des problèmes inflammatoires, et d’autre part en raison de la présence d’anomalies héréditaires du métabolisme du fer, la plus connue d’entre elles étant l’hémochromatose, qui touche un Français sur 300, soit potentiellement cent participants au Marathon de Paris, … et se traite principalement à l’aide de saignées !
• Respecter des plages de repos, permettant de régénérer convenablement, de passer quelques semaines sans onde de choc ni sollicitation vasculaire trop importante. S’accorder impérativement une semaine plus légère chaque mois, pour les mêmes raisons. Enfin, varier à chaque fois que possible les activités, de manière à ce qu’une partie du travail foncier s’accomplisse dans une discipline non traumatisante (dénuée d’onde de choc).
• Boire à l’effort : Ceci permet de maintenir un minimum d’irrigation au niveau digestif. On a vu précédemment que sans cela, les intestins perdent beaucoup de leur fonctionnalité et de leur intégrité. Ceci se traduit, entre autres, par des saignements répétés et une moins bonne assimilation du fer fourni par les aliments.
• Eviter de boire du café ou du thé juste avant, pendant, ou juste après le repas du midi. Ces boissons renferment des constituants qui affectent l’assimilation du fer d’origine végétale. Attendre une heure pour en consommer.
• Avaler davantage de végétaux frais (fruits, légumes verts), sources de vitamine C, laquelle contribue, à l’inverse des deux boissons précédentes, à une meilleure assimilation du fer d’origine végétale, celui qui participe de manière minoritaire- mais néanmoins utile- à la satisfaction de nos besoins.
• Consommer davantage de graisses, notamment d’acides gras essentiels, ceux qu’on tire des huiles de colza et d’olive, des noix, des poissons gras et éventuellement de leurs huiles. C’est leur présence dans les membranes des globules rouges qui leur assure une plus grande souplesse et leur permet de se faufiler dans de très étroits vaisseaux sans casser. Compte tenu de la fréquence extrêmement élevée des déficits en acides gras dans la population des coureurs de fond, il s’agit sans doute à la fois d’un élément très déterminant, et d’une cause très largement sous-estimée. Des globules rouges souples cassent moins. Pensez-y au moment de passer à table, surtout si vous aviez la mauvaise habitude de faire systématiquement la chasse aux huiles et aux graisses, qu’elles fussent « bonnes » ou « mauvaises ». Cette correction est très facile à mettre en œuvre. Il suffit d’accepter l’idée qu’existent des « huiles santé » et d’en consommer plusieurs fois par jour.
(*) : WILKINSON JG, MARTIN DT & Coll (2002) : Int.J.Sports Med., 8 (23) : 544-8.
(**) : RUSHTON D. et al. British Medical Journal, vol 322, 2 juin 2001), et RYMER J.C. Hématologie; vol.2, n°1, 1996 (Chu Henri Mondor Créteil).
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
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