Hormis quelques rares pas entre deux répétitions de 200 m effectués à fond, il ne viendrait à aucun coureur de demi-fond de considérer que la marche puisse constituer un élément de son entraînement. Le coureur de trail accepte un peu plus cette idée. Pour lui, de façon un peu empirique, la réalisation de randonnées en montagne ou de sorties « rando-course » semble s’inscrire dans une logique compatible avec l’ultra. Il restait à le démontrer…
Aujourd’hui, le souci d’accomplir du volume pour préparer des sessions plus difficiles connaît un nouvel essor, le vélo, le ski de fond se voyant de plus en plus proposés aux athlètes, notamment dans le cadre du marathon, où l’introduction de sorties cyclistes tend à se banaliser. Les adeptes de la distance-reine semblent en tirer un réel profil en dépit d’une nette différence entre ces deux sports. Cela nous renvoie à la question du « transfert » entre deux activités plus ou moins apparentées, domaine qui depuis l’émergence du triathlon suscite de multiples travaux et des débats passionnés.
Guillaume Millet saura mieux en parler que moi, tout juste tiens-je à souligner que ce processus de transfert n’avait, jusqu’alors, été que très peu envisagé dans le cadre de la marche.
Toujours est-il qu’il ne suffit pas qu’une activité fasse dépense des calories pour qu’elle puisse s’intégrer favorablement a l’entraînement. Il faut en effet que, sur le plan physiologique ou « mécanique » elle apporte un « plus » au coureur. Or marcher aide-t-il à être un coureur plus performant ? Cela pourrait être le cas. Au tout début de cette année des chercheurs écossais sont enfin parvenus à montrer tout l’intérêt des randos en moyenne montagne, Leurs conclusions sont très intéressantes.
PRESQUE COMME UN MARATHON
Dans le cadre de ce travail, ils ont demandé à 13 volontaires de réaliser une marche de 12 km sur un terrain de moyenne montagne dans des conditions réelles, c’est-à-dire avec sac à dos, coupe-vent et casse-croûte dans la poche. Le profil était assez dur, puisque sur les 5 premiers kilomètres les marcheurs passaient de l’altitude 100 à l’altitude 900 (soit une pente moyenne de 16%) sur un terrain accidenté, avec appuis parfois fuyants. Le recueil des gaz expirés et l’enregistrement de la température corporelle en cours d’activité permettaient d’évaluer le coût réel de celle activité. Par ailleurs, la composition nutritionnelle du petit déjeuner d’avant-effort, la nature du ravitaillement pris en route et du repas du midi étaient prises en compte de façon à calculer la différence entre l’apport calorique réalisé et les dépenses occasionnées. Qu’en ont-ils retiré de marquant ? Il a d’abord été constaté une élévation de la température corporelle lors de l’ascension (passage de 36,9 à 38,51, C en moyenne), soit une différence tout à fait comparable à ce qu’on enregistre au décours d’un marathon ou d’un semi. Cette observation confirmait bien la nature assez coûteuse de cette sortie, qui n’avait rien d’une balade digestive. Plus étonnant, la dépense calorique totale de la journée se chiffrait à 3000 calories (activité + métabolisme de repos), ce qui placerait cette activité, sur ce plan, au niveau d’un marathon ! A l’appui de ce constat, l’essentiel de l’énergie dépensée était fourni par la combustion des graisses de réserve, ce qui s’explique à la fois par la durée de l’effort, le net déficit calorique relevé sur la journée (les apports, en fin de rando, se situaient en moyenne à 1340 calories), et l’intensité moyenne, qui sollicitait peu les réserves de glycogène, une fois l’altitude 900 atteinte.
En termes simples, ce travail indique que les randonnées en terrain accidenté, ou les sorties rando-course qui peuvent comprendre des séquences un peu plus intenses, sont tout à fait comparables, par leurs contraintes, aux sorties longues Il classiques », telles que les pratiquent les marathoniens. Utiles aux adeptes du trail, qui pourront les entreprendre en alternance avec les sorties longues, ou même à la place de celles-ci, sans craindre de perdre quoi que ce soit de leurs qualités compétitives, elles pourront aussi s’adresser aux adeptes du 100 km ou aux marathoniens.
De plus en plus en effet, comme on l’a vu, le souci de prévenir la survenue de pathologies musculaires, tendineuses ou articulaires de « surcharge » incite les coureurs ou leurs entraîneurs à incorporer des séquences de vélo dans leurs sorties longues, voire à remplacer franchement certaines séances de course par une séance de pédalage. Peu spécifiques, elles ont pourtant un impact globalement positif, du fait qu’elles favorisent l’accomplissement de temps d’effort conséquent, sans exposition à l’onde de choc, et n’altèrent en rien le déroulement des sessions de course ultérieures.
L’emploi du cardio-fréquencemètre permet, après ajustement (des différences de fréquence existent, à intensité égale, entre les deux activités), de cibler parfaitement le travail dans une zone d’effort prédéfinie.
Ces mêmes caractéristiques peuvent se retrouver avec la marche en montagne et, en outre, le renforcement musculaire qui peut résulter de telles sorties, conjugué à l’adaptation mentale aux efforts de longue durée, influeront très favorablement sur la préparation. Dernier avantage, et non le moindre : L’incorporation occasionnelle ou régulière de telles sorties de rando détournent un peu le coureur de son obsession du décompte kilométrique qui le coupe souvent de l’essence-même de sa préparation : Être prêt le jour « J », tant aux niveaux des muscles que du cœur, des poumons ou de la tête.
EN ALTITUDE C’EST ENCORE MIEUX
Ce qui précède met donc la sortie rando sur le même plan qu’une sortie longue traditionnelle, ou qu’une sortie panachée rando-course telle qu’on l’évoque dans « Le Guide du Trail ».
C’est bon à savoir et ouvre certainement de nouveaux horizons à votre entraînement, assurant de toute évidence un sacré renouvellement et une assurance anti-monotonie. Mais, dans certaines conditions, elle peut faire bien plus encore. Il faut en effet noter que l’altitude à laquelle montaient ces sujets, faute de montagne Outre-Manche, se situe en-deçà de celle à laquelle on peut pratiquer le trekking en France ou en Suisse. Or, plus on monte haut, plus l’effort, quel qu’il soit, peut constituer un stimulus intéressant pour l’entraînement.
En effet, d’une simple activité dérivative ayant un vague effet sur la récupération, la marche, selon les conditions dans lesquelles on la pratique, peut offrir de véritables séances de développement.
D’autres récents travaux ont montré que, en raison de la raréfaction de l’oxygène dans les hautes altitudes, toute activité effectuée au-dessus de 2500 m peut stimuler la libération d’EPO et, de là, améliorer à court terme les capacités de transport d’oxygène dans le sang par une synthèse d’hémoglobine.
Celle-ci, rappelons-le, est chargée de véhiculer l’oxygène dans le sang vers nos tissus. Donc, celui qui parvient à stimuler sa production (l’entraînement en altitude est recherché pour cela), va disposer temporairement, à son retour au niveau de la mer, d’une meilleure oxygénation cellulaire.
Or, on sait que la disponibilité en oxygène constitue l’un des « maillons faibles » de l’effort intensif, et que toute amélioration de l’apport de 02 aux muscles va s’accompagner d’un recul du seuil, des efforts plus soutenus pouvant être réalisés en aérobie. La marche en montagne va donc, au même titre que le fractionné réalisé en plaine, stimuler la fabrication de globules rouges. En outre, si cette sortie s’effectue sur un terrain très accidenté, très pentu, et que tout au long de celle-ci vous portez un sac chargé à plus de 10 kg, vous allez nettement accroître l’intensité de cet effort, la fréquence cardiaque maximale pouvant même être atteinte dans de telles conditions. Une autre étude publiée en 2000 avait bien démontré ce fait, et en outre il était apparu que sur les portions les plus raides, l’emploi de bâtons diminuait sensiblement le côté ardu de la tâche.
Or, la réalisation d’efforts intenses en altitude offre un double avantage – d’une part, elle contribue à une augmentation très prononcée du nombre d’enzymes qui, dans les fibres, participent aux réactions énergétiques. En d’autres termes, non seulement vous allez bénéficier, à votre retour, d’un afflux d’oxygène plus important, mais vos muscles vont également se montrer capables de l’utiliser en plus grande quantité. Vous allez donc améliorer vos qualités aérobies. D’autre part, vous allez très nettement améliorer vos performances en altitude, cette forme d’entraînement très agréable – et peu agressive sur le plan articulaire – joue donc, pour les séquences de course se déroulant à plus de 2000 m, un rôle spécifique très déterminant sur les performances, à l’instar de celui qu’assurent les séances de fractionné pour les efforts en plaine. Ainsi, aligner des (30-30) en bord de plage ou gravir 1000 m de dénivelé sac au dos en un après-midi vous profiteront tout autant si vous préparez la « Fila Sky Race » ou le « Canigou ».
Cela étant, votre aisance sur les parties plates ou plus roulantes sera améliorée par la réalisation de fractionné. La nouveauté apportée par ce travail, c’est de considérer que la marche en haute montagne constitue une activité qui développe aussi V02 Max. Et il en va de même, vraisemblablement, de la marche avec raquettes, la difficulté du terrain ajoutant à l’intensité de la tâche. Aussi, pour une Karine Herry qui fractionne très régulièrement (*), on peut trouver une Corinne Favre qui ne se plait jamais autant qu’à gravir des pentes escarpées pour une réussite équivalente !
(*) : son indiscutable polyvalence, qui lui vaut d’être membre de l’équipe de France de 100 km, ne pourrait en effet être garantie sans ce travail indispensable de « coureuse ».
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
Remerciements:
Photos de Pierre Mouly
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