C’est l’hiver, le mercure flirte avec les valeurs négatives. Courir dans ces conditions extrêmes est difficile. Sur le plan alimentaire, il est classiquement considéré que, pour faire face au froid, il faudrait manger plus gras. Cette idée largement reprise est-elle vraiment fondée ?
UN AVANTAGE HISTORIQUE :
Beaucoup considèrent, s’appuyant sur des observations tirées du monde animal, que si on séjourne plusieurs heures d’affilée, et plusieurs jours de rang, dans un climat froid et humide, il peut être nécessaire de manger plus gras et de disposer de réserves adipeuses plus importantes qu’en été. Ce n’est pas évident vu que dans notre sport, tout excédent de masse grasse nous alourdit et nous ralentit. Certains spécialistes conseillent de privilégier les graisses pour deux raisons :
– celles de notre corps jouent un rôle d’isolant, utile quand il fait très froid dehors.
– leur combustion fournit beaucoup de calories, chaque gramme en délivrant 9, contre 4 aux sucres ou aux protéines. Nous verrons que si ces arguments sont discutables, on passe par contre classiquement sous silence les bonnes raisons de manger des graisses… en toute circonstance.
Autre caractéristique favorable souvent mise en avant, leur stockage dans les tissus ne nécessite pas d’eau, à l’inverse du glycogène, forme sous laquelle les sucres se stockent dans les muscles. Grâce à cela, le pannicule graisseux des manchots ou des ours polaires constitue une réserve d’énergie condensée, disponible pour les coups durs, notamment lorsque les denrées comestibles font défaut. On n’en est évidemment pas là en 2011, mais l’Histoire de notre espèce a pérennisé jusqu’à nous ce mécanisme sélectif. Ainsi, quand le mercure descend très bas, les adaptations mises en oeuvre par notre organisme relèvent de la même logique.
Grâce à elles, on parvient à maintenir notre température corporelle dans l’étroite gamme de valeurs compatible avec la vie.
Les populations qui se sont adaptées au froid, comme les Inuits qui vivent depuis des siècles dans le Grand Nord, ont à la fois inspiré les explorateurs dans leur façon de manger, et fortement orienté le discours médical relativement aux besoins nutritionnels liés à la vie dans le froid. Mais là encore, les principes qu’on en a déduit n’ont qu’un lointain rapport avec ce que nous rencontrons sous nos latitudes. Ainsi, dans une région où les plantations comestibles sont très rares, surtout l’hiver, l’adoption d’une ration très riche en chairs animales, comme la pratiquent les Eskimos, résulte davantage de contraintes écologiques que d’une quelconque démarche scientifique. Comme le soulignait Yannick Guezennec au cours d’un colloque consacré à la nutrition du froid : « Si les Eskimos avaient eu des pâtes, nul doute qu ils s’en seraient gavés avant de partir chasser ». Au lieu de cela, aujourd’hui ils avalent des cheeseburgers, et il ne viendrait plus l’idée à personne de les suivre sur ce terrain.
ALORS, GRAS OU PAS GRAS?
Cela n’empêche que les nutritionnistes ont, jusqu’à une époque récente, conseillé d’augmenter l’apport lipidique en prévision d’un effort à accomplir dans le froid ou au cours de celui-ci. La thèse figurait notamment dans les ouvrages du Pr CREFF, le pionnier de cette discipline dans notre pays. Certes, compte tenu du fort pouvoir énergétique des graisses, il semblerait logique d’en manger davantage dans ces conditions, de façon à faire face à ces besoins supplémentaires. Mais tout ne se déroule pas aussi simplement quand on fait du sport dans le froid. D’une part, lorsqu’on dit qu’une activité physique, par exemple une heure de cyclisme, fait dépenser 600 kcal en une heure, en fait seulement 1/4 sert à produire un travail mécanique (autrement dit 25% seulement favorisent la contraction des muscles), les 3/4 restants se voyant dissipés sous forme de chaleur, et ce qu’il fasse -15 C ou que ce soit sous la canicule.
Dans le froid, cette déperdition énergétique constitue un avantage ; le simple fait de bouger fournit les calories nécessaires à la thermorégulation et permet d’assurer la lutte contre le froid. Les fondeurs le savent : ils se débarrassent progressivement de plusieurs couches de vêtements pour finir en collant et T-shirt à manches longues, alors que les promeneurs sur le bord de la piste restent emmitouflés dans leurs doudounes. « Mais comment font-ils donc ? », se demandent-ils. « Nous avons des lattes chauffantes », répondit un jour un de mes amis skieurs, plutôt amusé d’entendre cette réflexion récurrente de promeneurs transits, ignorants que le mouvement procure un réchauffement bienvenu.
Le problème s’avère plus complexe si en plus l’air est humide ou s’il pleut. Car alors la dissipation de la chaleur est multipliée par 7 de sorte qu’une baisse exagérée de la température corporelle, ce qu’on nomme hypothermie, peut s’ensuivre. Dans ce cas-là, lorsque le froid pénètre le moindre de nos os, même le meilleur des cassoulets au confit ne pourrait plus rien pour nous… Le port de vêtements isolants demeure la meilleure protection, et joue alors un rôle plus important que l’alimentation. Notamment le fait d’en porter plusieurs couches consécutives, car entre deux épaisseurs successives on emprisonne de l’air, qui joue alors un rôle d’isolant. Attention à la sueur ; lorsqu’on est mouillé, cette isolation ne joue plus. C’est pourquoi les fabricants de vêtements ont beaucoup travaillé, ces dernières années, à la conception de sportswear comportant des tissus favorisant l’évaporation de l’eau mais ne permettant pas à l’humidité extérieure de pénétrer et vous glacer les os. Ce progrès est essentiel dans la gestion du froid.
Alors que manger de particulier la veille au soir d’une séance effectuée dans le froid ? Ce qui dans ce contexte apparaît le plus approprié est d’abord d’adopter une alimentation qui permet aux muscles de continuer à travailler. Cela signifie qu’il faudra privilégier les pâtes (la veille au soir), les céréales et le pain (le matin), sans négliger pour autant l’équilibre global. Car un effort fourni dans le froid reste avant tout… un effort, occasionnant les mêmes contraintes physiologiques que n’importe quelle autre sortie, avec son cortège d’événements inflammatoires et oxydatifs… d’où la nécessaire présence, au quotidien, d’aliments protecteurs : fruits, légumes, huiles, poisson, viandes.
Comme n’importe quel autre jour, finalement. Ensuite, au cours de l’effort les boissons énergétiques, les gels, voire quelques solides fourniront l’appoint de glucides, carburant de relais pour le muscle, mais fuel indispensable pour le cerveau et le système immunitaire…
Un autre argument mis en avant pour justifier le recours aux aliments gras à l’occasion de sorties effectuées à ski ou en vélo, voire lors de très longues sessions de course ou de raquette : leur volume généralement faible, la même quantité donnant deux fois plus de calories que les sucres. On peut aisément réfuter cet argument ; d’une part, si une telle qualité peut conférer un avantage à celui qui doit traverser le Pôle Nord en tirant trois mois de vivres sur son traîneau (ce qui n’arrive pas chaque jour à nos lecteurs), elle apparaît négligeable dans la plupart des autres cas, notamment compte tenu de la qualité des gels, des boissons, des barres ou encore de la disponibilité en fruits secs. On ne peut donc pas conseiller l’ingestion d’aliments riches en graisses sous le seul prétexte qu’il s’agit de calories qui pèsent moins lourd…
COUREUR MAIS PAS SUMOTORI :
Enfin, qu’en est-il du rôle d’isolant joué par les lipides? On sait que les sujets un peu plus gras que la moyenne perdent moins de chaleur et donc assurent mieux leur thermorégulation. Mais ils vont moins vite en raison de ce surpoids. Au bout du compte, au-delà de la question de la survie, qui se pose rarement en course, sont-ils vraiment avantagés par leur pannicule adipeux supérieur à la moyenne ? En outre, l’humidité et la pluie compliquent les choses. L’eau conduit plus la chaleur que l’air de sorte que la déperdition calorique d un corps s y effectue bien plus vite, et ce même à des températures relativement hautes. Un exemple? Dans un air 22 C, on se trouve en neutralité thermique. Par contre dans une eau à 22°C, les sujets très maigres grelottent et ressentent rapidement le froid. Cela avait suffi, à une époque, à ce qu’on conseille aux sportifs devant affronter le froid de prendre un peu de masse grasse. Mais personne ne part courir nu (sauf lors du Trail Vert des Naturistes) ; bien vêtu, on n a donc nul besoin de posséder plus de graisses corporelles que d’ordinaire.
Cela étant, l’apport en graisses peut être envisagé sous un autre angle ; nous avons déjà évoqué que certaines molécules dérivées de familles bien particulières, notamment les acides gras essentiels, assurent le bon déroulement de la circulation, de l’inflammation, de l’immunité ou encore une mobilisation correcte des réserves adipeuses. Or, il apparaît aujourd’hui qu’une proportion très importante de coureurs ne satisfait pas leurs besoins quotidiens en acides gras, et que cela s’accompagne de déficits biologiques.
Cette situation est une sorte de « bombe à retardement », avec ces risques insidieux d’inflammations chroniques, de fatigue mentale ou de déficit immunitaire. Or, dès que la dépense énergétique dépasse trop nettement et trop systématiquement les entrées, le sportif tape dans son CODEVI d’acides gras « oméga 3 » et développe peu à peu d’authentiques déficits.
Un déficit chronique en acides gras va donc limiter les capacités d’adaptation au froid et la prévention des infections, si fréquentes en hiver. Il me paraît donc judicieux d’inciter nos lecteurs à profiter de l’hiver pour reprendre de bonnes habitudes, telles que celles de consommer quotidiennement noix, noisettes et amandes, de manger des poissons gras, de réintroduire le fromage et les œufs (notamment le matin, ce qui fournit de l’énergie pour la journée) et d’ajouter au moins deux cuillerées quotidiennes d’un mélange d’huiles d’olive et de colza à sa ration.
Compte tenu des effets bénéfiques sur l’immunité exercés par la vitamine D, abondante dans les huiles de poisson gras, il peut être judicieux d’entamer l’hiver par une cure d’huile de foie de poisson (en gélules, pour éviter le goût très désagréable d’un des aliments favoris des Lapons). Nul risque, malgré cet apport en lipides conséquent, de gagner de la masse grasse inutile.
Au contraire, il ressort aujourd’hui, paradoxalement, que la correction des déficits chroniques en acides gras essentiels (notamment ceux de la lignée « oméga 3 »), optimise le fonctionnement de notre métabolisme et favorise la perte de masse grasse normalement favorisée par l’entraînement. Les muscles, dans ce contexte, utilisent un carburant optimal, économisant mieux leur « super » aux intensités basses et moyennes.
L essentiel, pour les sujets frileux ou devant aller courir, marcher, rouler ou skier quand il fait des températures peu clémentes, se résume en cinq points :
1°) Il faut maintenir l’apport de glucides la veille au soir et le matin, dans le cadre d’une ration diversifiée et équilibrée.
2°) Il faut porter plusieurs épaisseurs de vêtements, et tenter de rester le plus sec possible. A l’entraînement au stade, n’hésitez pas à vous arrêter pour enlever des couches de vêtements au fur et à mesure que vous vous réchauffer, et à les enfiler à nouveau lors du retour au calme, par exemple
3°) Avalez à intervalles réguliers (10 à 15 mn), des boissons énergétiques, et des gels lors de sorties longues. Et ce même si vous n’avez pas soif. Pensez : « je nourris mes défenses, j’alimente mon cerveau ! » Si vous n’arrivez pas à penser… C’est qu’il est déjà trop tard ! Si vous partez à ski, à vélo ou en raquettes, ajoutez-y des pâtes de fruit, des pâtes d’amandes ou des fruits secs. Éventuellement, une thermos de boisson chaude sucrée pour vous désaltérer dans ce contexte
4°) S il fait vraiment très froid, optez pour le home-trainer, placez-vous devant votre magnétoscope et diffusez un reportage sur l’UTMB ou la « Diagonale des Fous ». C’est bon pour le moral…
5°) Mangez crétois au quotidien ; et un peu gersois aussi au moment des Fêtes. Cà ne fait de mal à personne… sauf aux canards !
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
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