REGIME ENDURANCE dans la pratique du Trail par Denis Riché (1ère partie)

De mon point de vue l’expression « régime du trail » est un oxymore, c’est-à-dire l’association de deux mots antinomiques, comme lorsqu’on parle de « chasseurs écologistes » ou de « dictateur bien libéral ». Explications…

QUELQUES PRÉAMBULES :

L’obésité constitue aujourd’hui ce qu’on nomme un enjeu de santé publique, car elle concerne de plus en plus d’individus de tous âges. Les scientifiques américains qui étudient la question évoquent d’ailleurs une véritable « épidémie ». Pathologie multifactorielle, elle est souvent abordée sous l’angle exclusif de l’équilibre entre les apports caloriques et les dépenses, notamment celles liées à l’exercice physique. L’inactivité croissante d’une fraction de plus en plus importante de la population, portant autant sur le recul de sport que la sédentarisation et l’automatisation croissante de nos tâches, participe évidemment à ce problème.

Au point qu’un des objectifs avoués, aujourd’hui, est de faire en sorte que les plus oisifs d’entre nous en reviennent à trois séances hebdomadaires de marche d’une demi-heure, à une allure qui permette encore de chanter.

Ce « minimum vital », très en deçà de ce qu’effectue à l’entraînement le moindre de nos lecteurs, lorsqu’il est prescrit en même temps qu’un programme alimentaire cohérent, se révèle souvent efficace en termes de perte de poids. Ce qui amène deux remarques. La première c’est que l’existence objective d’un problème de poids chez un coureur aguerri relève d’autres causes que de simples mauvais choix alimentaires, et la résolution de ce problème ne passera pas par la restriction.

La seconde, c’est que le sujet affecté d’un excédent de kilos qui choisit de se remettre à la course n’aura le plus souvent qu’à adopter une hygiène de vie appropriée pour voir sa pratique athlétique s’accompagner d’une fonte du gras superflu.

Il existe une autre possibilité à cette volonté d’amaigrissement : celle de perdre quelques centaines de grammes dans le but de gagner en compétitivité. Le raisonnement à l’origine de ce choix est le suivant : Chaque coureur possède une consommation maximale d’oxygène, exprimée en ml/mn.kg, mais qu’on peut aussi traduire en  l/mn. Cette cylindrée est assez fidèlement corrélée à la vitesse de course. Imaginons le cas d’un coureur qui pèserait 60 kg et possèderait une V02 de 70 ml/mn.kg, c’est-à-dire une puissance de 60 x 70 = 4200 ml/mn.  Suivons son raisonnement : En se délestant de 2 kg, il consommerait cette même quantité d’oxygène de manière différente, à savoir qu’il aurait l’aptitude théorique de 4200/58 = 72 ml/mn.kg. En termes de vitesse, cela reviendrait à une progression de 3,8 x 0,2 = 0,75 km/h. Pas négligeable.

Sauf que ce raisonnement comporte plusieurs biais. D’abord, les efforts nécessaires peuvent conduire à des restrictions qui rendent difficile le respect du programme. Au final, on court plus léger, mais plus fatigué, quelle aubaine ! Quand ce n’est pas, tout simplement, qu’on doit s’arrêter. En effet, s’astreindre à un tel régime, quand on possède peu de masse grasse, conduit nécessairement à une perte de masse maigre, certes au détriment du muscle, mais aussi aux dépens de l’immunité. Le but de l’entraînement étant quand même de s’entraîner et de progresser, on passe dans ce genre d’approche à côté du but affiché.

Par ailleurs une étude récente, menée par le Pr Martin Hoffman de l’Université de Sacramento, a montré que, sans doute à l’étonnement de bon nombre de nos lecteurs, la corpulence moyenne des coureurs entrant dans le « Top 10 » des courses d’ultra est supérieure à celle du reste du peloton. Une prime à la puissance et à la robustesse en somme. Et cela nous ramène au raisonnement précédent. Car l’oxygène consommé par le coureur sert à produire du travail musculaire. Or, un trailer solide, voire un adepte du renforcement musculaire, va certes gagner du poids (et théoriquement aller moins vite). Mais on oublie qu’avec la même quantité d’oxygène il fournit plus de travail, donc effectue plus de mouvement, y compris dans les derniers hectomètres de la « Trans Grancanaria Trail » par exemple. De fait, quand on prône la légèreté « coûte que coûte », on s’arrête simplement au milieu du raisonnement ! De ce constat il ressort une chose simple : L’idée qui consiste à vouloir être plus léger pour aller plus vite n’est pas justifiée chez un coureur maigre. On doit substituer à ce raisonnement le suivant : Chercher à être plus fort pour se déplacer à un coût moindre.

Reste le cas de certains amateurs, ces adeptes de la course longue distance qui traînent des kg superflus, n’arrivent pas à s’en débarrasser, s’en plaignent et en pâtissent. Il s’agit, de toute évidence d’un énorme paradoxe. Comment s’entraîner quatre heures par semaine, et parfois jusqu’à dix heures et posséder un excès (relatif…) de masse grasse ? Il faut évidemment  admettre que, dans leur cas, il y a un « virus » dans le disque dur. Trois causes peuvent être envisagées à un tel paradoxe. La première c’est l’existence d’un « terrain » métabolique, propice au stockage, lequel s’exprimera notamment à l’occasion de tout arrêt sportif (par exemple lors d’une blessure ou d’une maladie). La seconde, c’est la présence d’un possible trouble du comportement alimentaire.

regime trail 3Le coureur de trail serait face à son assiette comme face au calendrier des épreuves : boulimique et incontrôlable (il paraît que çà arrive !). Et dans ce cas, la restriction sera sans effet. Evidemment, elle se verra intégralement compensée dès l’arrêt de l’activité (coupure, maladie, blessure, contretemps professionnel) par un accès d’hyperphagie incontrôlée et compensatoire.

La dernière tient à de fréquentes carences en micronutriments, dont les répercussions sur notre métabolisme sont connues. Selon les causes du surpoids, la stratégie à adopter variera. En quelque sorte, il faut faire du « sur mesure », et non faire entrer le sujet dans un moule.

C’est tout l’inverse de ce qui se passe avec le régime pamplemousse, celui de la « soupe aux choux », du « docteur Dukan » ou que sais-je ? Leur justification est à peu près la même que celle du conducteur qui affirme que : « quand ma voiture s’arrête brutalement, je tape avec un caillou sur la batterie. Parfois elle repart ! »

Reste enfin, parmi les candidats au régime, le cas de tous ceux à qui il ne s’adresse pas, mais à qui on ne le refuse jamais. Les statistiques nous apprennent, par exemple, qu’une femme sur deux fait un régime ou restreint son alimentation. Parmi celles-ci, moins de la moitié présente objectivement un surpoids. La proportion de coureuses en restriction calorique est supérieure encore, beaucoup d’entre elles suivant un régime alors qu’elles sont objectivement maigres. Au-delà de l’idée selon laquelle la légèreté est un atout- ce qui peut conduire à une recherche anti-physiologique de la maigreur, ce constat montre surtout que le poids permet de focaliser d’autres causes de mal-être, et que cette « restriction cognitive », comme disent les psychiatres, évite d’avoir à se poser les bonnes questions sur soi. Cela étant précisé, revenons plus en détail sur les causes d’un éventuel surpoids.

LE PROBLEME DU « TERRAIN METABOLIQUE » :

Beaucoup de sportifs, au moment où ils arrêtent ou diminuent leur activité, commencent à prendre du ventre et à développer des anomalies biologiques. Surtout après 40 ans, et pas forcément en raison d’erreurs diététiques grossières. Cette anomalie, qui a reçu plusieurs noms, syndrome polymétabolique, syndrome  X, ou plus communément « syndrome du gros ventre », présente une forte composante génétique et touche 40% des hommes de plus de 45 ans. Mais avant cela, il se manifeste, parfois avant la trentaine, par cette facilité à stocker. Prenons une image : cette tendance métabolique correspond à l’état d’un individu qui mettrait 70% de son salaire sur son CODEVI et vivrait chichement avec le reste.

En raison de cette prédisposition, on stocke beaucoup, même en mangeant raisonnablement. Le « syndrome polymétabolique » associe des perturbations affectant différents métabolismes, comme son nom l’indique. Il porte à la  fois sur celui des sucres, celui des lipides et enfin sur celui du sel. A un stade évolué, il se traduit notamment par une glycémie à jeun supérieure à 1,10 g/litre. Ce chiffre se situe nettement en deçà de la limite qui correspond au diabète (1,40 g/l), mais il traduit déjà une anomalie dans la régulation de la glycémie. Chez un sédentaire, la barre peut être franchie assez tôt dans la vie. Chez le coureur, l’avidité du muscle pour le sucre et la propension à le consommer en cours d’effort modifie un peu la donne. Cependant, une glycémie à jeun à 0,95 ou 0,98 g/l chez un coureur n’ayant pas encore atteint le cap des V1 ne peut plus être considérée comme tout à fait normale. Si rien n’est entrepris, il franchira tôt ou tard la barre fatidique, après avoir gagné quelques kg mal placés.

L’un des signes avant-coureurs, c’est la facilité avec laquelle on stocke du gras sur le ventre, gras essentiellement fabriqué à partir du sucre. Chez les futurs porteurs du syndrome métabolique, il n’existe pas de grande différence, en ce qui concerne les réponses physiologiques, entre « sucres à index élevé » et « sucres à index bas » (voir le dernier numéro). Tout glucide pris à distance de l’activité augmentera, chez eux, la probabilité de fabriquer du gras… d’où une fréquente prise de poids à l’occasion de chaque interruption de l’entraînement.

A terme, l’existence de ce syndrome s’accompagne de complications biologiques. Or, on sait aujourd’hui qu’elles et le surpoids peuvent s’améliorer de concert, non pas par une politique de restriction aveugle, mais par l’adoption d’un mode alimentaire dont les principes visent à limiter les « incursions » hyperglycémiques, autrement dit, à éviter au maximum les fortes élévations d’insuline. Comment faire ? La prise en charge de ce syndrome devrait répondre à deux objectifs, qui n’ont rien à voir avec la suppression du sucre, des graisses en général ou du cholestérol. Le premier, et pas le plus facile à satisfaire, consiste à « reformater » le disque dur, autrement dit à mettre en œuvre des acteurs nutritionnels capables de restaurer une meilleure réponse à l’insuline.

Certains nutriments comme le chrome, le zinc, les acides gras de la lignée « oméga 3 », ou des aliments réputés moduler l’insulino-secrétion comme l’ail, l’oignon, le soja ou le fenugrec seront précieux dans ce contexte. Le second consistera à éviter les pics d’insuline. Cette stratégie sera plus subtile, dans sa réalisation, que le simple évitement de tout aliment à saveur sucrée. La discrimination entre aliments « à consommer » et ceux « à éviter », fera appel au concept de « charge glucidique », c’est-à-dire à une appréciation des perturbations de l’insuline induites par la consommation de ces denrées. Cela signifie que les fruits et légumes, les légumes secs et les céréales complètes (en quantité raisonnable) seront privilégiés, alors que la plus grande prudence s’imposera à l’encontre des céréales raffinées, du pain blanc, du sucre et des produits riches en sucre. Les glucides seront consommés juste avant, pendant et juste après l’activité, de façon à limiter le risque de les voir se transformer en graisses.

De plus, l’approche la plus appropriée consistera à proposer l’adoption d’un modèle méditerranéen d’inspiration crétoise. Cette stratégie préventive devrait être initiée très tôt, chez les sujets à risque, en particulier lorsque leur niveau d’activité physique va décroître.

Portrait Denis Riche 4

Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition

 

Crédit photos: SDPO – Edouard Dana / Shutterstock

 

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