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A QUOI SERVENT LES GRAISSES ? par Denis Riché (3ème partie)

On a longtemps cru que le fait de trop manger, ou de trop manger gras favorisait le déclenchement de cette prolifération adipocytaire. En fait, les choses sont plus compliquées. La faute en incomberait principalement au changement de nourriture des animaux de basse-cour ! Celui qui affirme cela est très sérieux. Il s’agit du Pr Pierre Weil, de l’Université de Rennes, qui a rassemblé les conclusions de ces travaux et exposé des données extrêmement inquiétantes dans un ouvrage particulièrement passionnant (« Tous gros demain ? » ).

De nombreux travaux menés depuis le milieu des années 90 ont établi un fait d’importance colossale. Il concerne les acides gras poly insaturés ». Rappelons qu’il s’agit de deux familles de graisses d’une importance essentielle à notre survie, puisque à partir d’elles on élabore diverses molécules dont on sait qu’elles modulent l’inflammation, l’immunité, les tendances pro-allergiques, la circulation. Les dérivés des « oméga 6 » sont plutôt pro-inflammatoires et pro- aggrégantes. Ceux des « oméga 3 » possèdent des effets opposés. Ces acides gras peuvent aussi agir directement sur le développement des adipocytes. En inhibant cette prolifération, dans le cas des « oméga 3 ». En l’activant, au contraire, dans le cas des « oméga 6 ». Le Pr Gérard Ailhaud, du fond de son laboratoire niçois, accuse nommément l’excès d’oméga 6 de provoquer l’obésité. Il n’hésite ainsi pas à affirmer : . Si l’indice d’adiposité (le rapport poids/taille) des enfants de moins d’un an  augmente aussi vite, à un âge où le lait est l’aliment unique, on ne peut pas incriminer Mc Do, le grignotage, la télé et le déficit d’activité physique » (13). Le rapport optimal entre les deux familles d’acides gras polyinsaturés est de l’ordre de 3 à 5 « oméga 6 » pour un « oméga 3. Il y a quarante ans, il y avait effectivement dans les laits maternels 5 « oméga 6 » pour un « oméga 3 » (2). Aujourd’hui, les laits maternels contiennent 20, voire 25 oméga 6 pour un seul oméga 3.

L’indice d’adiposité suit exactement la même courbe que le rapport oméga6/oméga3 dans le lait. Comment l’expliquer ? Cela résulte en partie  du changement de l’alimentation des animaux, elle-même consécutive aux changements brutaux survenus d        ans notre agriculture, avec une offre qui ne suivait plus la demande. Que s’est-il exactement passé ? L’histoire nous est contée par le Pr Pierre Weil dans son livre « Tous gros demain ? ».

Dans les années 70, de plus  en plus de Français ont mangé de plus en plus de fromage. Il a fallu davantage de lait l’hiver, de manière à répondre à cette demande accrue.
Or, jusque à ces années-là, l’essentiel de la production de lait s’effectuait au printemps. En cette saison, les vaches trouvaient des les prés l’herbe grasse (riche en « oméga 3 »), qui leur permettait de synthétiser un  lait de qualité. Le vêlage se faisant au printemps, les vaches produisaient beaucoup moins de lait ensuite.

Pour contourner ce problème, l’industrie laitière a pu compter sur la « révolution fourragère « , survenue en même temps qu’une plante a connu un important essor sur notre sol : le maïs.  Comme l’explique Pierre Weil, dans les années d’après-guerre, la France vise à assurer son autosuffisance alimentaire. La culture du maïs remonte progressivement vers le nord et conquiert les régions d’élevage. A la même période apparaît l’ensilage, qui permet de conserver des fourrages. La plante va, grâce à cet ensilage, pouvoir être distribuée toute l’année aux vaches dont, simultanément, la période de vêlage va être décalée vers l’automne. L’essentiel de la production laitière surviendra alors l’hiver, au moment où les vaches se nourrissent de maïs et non plus d’herbe.
Mais c’est là  que le bât blesse. « Il y a juste un petit problème, explique le Pr Weil. Dans l’herbe grasse, il y a beaucoup de graisses qui appartiennent à la famille « oméga 3 ». Dans le grain de maïs, il y a des graisses aussi, mais de la famille « oméga 6 ». Anciennement, l’hiver, on donnait du lin aux vaches. Or cette plante se caractérise par sa richesse en « oméga 3 ».

En une trentaine d’années, ces changements dictés par la pression économique ont eu des effets dévastateurs, dont on commence seulement à mesurer les conséquences en 2007 : On a créé une nouvelle alimentation animale, qui engraisse les animaux et prépare l’engraissage de ceux qui s’en nourrissent. Comme le note le Pr Ailhaud, les viandes les plus riches en « oméga 3 » (cheval, oie, lapin) sont celles des ruminants qui consomment davantage d’oméga 3. De même, les poissons gras (pourvu qu’ils ne soient pas issus d’élevage et nourris au grain…) contiennent plus d’oméga 3, en particulier les acides gras dont les noms sont abrégés par  « EPA » et « DHA »,  grâce au plancton ou aux algues qu’ils mangent. « C’est au fond des océans et dans les champs, dans les pâtures, que poussent les oméga 6 et les oméga 3 qui sont la base de notre chaîne alimentaire. » (15).

De fait, les études menées chez l’animal, puis les observations faites chez l’homme, montrent qu’en accroissant la part des « oméga 6 » dans l’alimentation des animaux on fabrique du lait, des viandes, des œufs trop riches en « oméga 6 ». La femme enceinte fournit donc en « oméga 6 » le tissu adipeux du foetus, ce qui favoriser son développement. L’agression se poursuit avec l’allaitement, la diversification alimentaire…et se poursuit à l’échelle de plusieurs générations nourries aux « oméga 6 »… d’où l’idée de Pierre Weill, selon laquelle, demain, nous pouvons fort bien tous devenir obèses, à moins d’appliquer la parade qu’il a imaginée (voir l’encadré 2).

TABLEAU 1 : Equilibre oméga 6/ oméga 3 de quelques huiles courantes.
Tournesol        124
Maïs                59
Pépins raisin    43
Arachide         42
Isio 4               39
Soja                 8
Noix                5,2
Primevère        4,5
Colza               2,4

EST-CE DÉJÀ TROP TARD ?

La composition des huiles (voir le tableau ci-dessus) montre que sous l’effet de la pression des lobbies et de la politique de communication très volontariste de grands groupes de l’industrie agro-alimentaire, travestissant la réalité, le déséquilibre est volontairement entretenu. De fait, le profit est privilégié aux dépens de la santé des générations futures. L’huile de colza, a minima, est à réintroduire quotidiennement. Mais pas seulement (voir l’encadré 2).

les graisses 6

Revenons aux sportifs, pour comprendre que le problème posé par cette révolution va au-delà de la gestion du poids pendant et après la carrière. En effet, la prédominance des « oméga 6 »  dans nos tissus peut aussi conduire à une tendance pro-inflammatoire, pro-allergisante, pro-agrégante, très largement présente à l’échelle de la population. « J’aurais aussi pu intituler ce livre : « demain tous allergiques ? » ; s’inquiète d’ailleurs Pierre Weill. Cette tendance, qui se retrouve dans toutes les disciplines sportives, à ce que nous en savons, s’avère plutôt délétère. Les résultats de biologie relevés, par nos soins, au sein de l’élite de certaines disciplines depuis quatre ans, ne manque pas d’interpeller quant à la situation sanitaire des athlètes concernés. Les tableaux qui suivent dans l’encadré 3, laissent deviner l’ampleur de ces déficits en « oméga 3 », lesquels sont aggravés par les excès d’acides gras « oméga 6 », créant un terrain pro-inflammatoire, pro-allergisant, et propice à la prise de poids. Face à ce constat que pensent les « experts » qui se penchent sur l’assiette de nos champions ? Selon le diététicien de l’équipe du XV de France :  Plutôt que la recherche de l’huile « miracle », une diversification des types d’huiles utilisées (…) est le meilleur garant d’une bonne répartition des acides gras ». (10).

ENCADRE 2 : LE LIN QU’IL NE FAUT PAS  LAISSER FILER (13)…

Pour Pierre Weil, l’explosion endémique de l’obésité est en partie liée à la perte de « corrélation écologique » entre le sol, l’aliment et l’individu. Pour lui, la clef ne réside pas dans une majoration des apports en « oméga 3 » par les poissons gras. Nous sommes déjà les plus gros consommateurs en Europe, argumente-t-il. Et l’émergence à venir des fermes piscicoles nous prépare peut-être à beaucoup manger de … bœuf à écaille, si le thon et le bar sont gavés de maïs plutôt que de plancton ! Le chercheur breton a eu une autre idée : réintroduire le lin. Les animaux des éleveurs partenaires de son travail ont été nourris au lin. Les volontaires humains qu’il a recrutés ont mangé des œufs, du beurre, du fromage, issus de  certains de ces animaux nourris au lin. Ils ont aussi bénéficié d’un pain enrichi aux graines de lin. Le groupe a été étudié sous tous les angles (poids, biologie) et comparé à un groupe « témoin » se nourrissant d’aliments classiques (14-5). A la sortie, perte de poids et amélioration des paramètres biologiques pour les volontaires nourris d’aliments qu’on peut qualifier de « traditionnels ». Pour lui, c’est vraiment une affaire de filière et de choix politique.

Ainsi, un œuf non « bio » pondu par une poule nourrie au lin aura plus d’effets favorables qu’un œuf « bio » pondu par une poule nourri au bon grain !

Le temps que cette transformation se mette en place à plus vaste échelle, le choix des huiles est évidemment crucial. De ce point de vue, il n’y a certes pas d’huile « miracle », mais celle de colza apparaît quand même comme la plus intéressante, et de loin. Et il y a l’hypothèse de la complémentation, encore inenvisageable par les institutionnels, par principe, il y a seulement 5 ans. Leur position a évolué, à en juger au récent éditorial rédigé par la plume de Bernard Guy-Grand, l’un des plus éminents nutritionnistes français, dans la revue « Les Cahiers de Diététique et Nutrition » (5) : «On sait depuis longtemps que le DHA est l’acide gras prévalent du système nerveux central, de la rétine (…), que sa carence entraîne des troubles de la vision et des cognitions, notamment au cours de la phase de développement chez le fœtus et le jeune enfant. Supplémenter directement? La question mérite d’être posée! »

Portrait Denis Riche 4

Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition

ARTICLES CONSULTES :
(1)   : AHIMA RS (2005) : Trends Endocrinol.Metab., 16 : 307-13.
(2)    : AILHAUD G (2007) : Cah.Nutr.Diét., 42 (2) : 67-72.
(3)    : BOULOUMIE A, CURAT C & Coll (2005) : Curr.Opin.Clin.Nutr.Metab.Care, 8 : 347-54.
(4)    : BYRNE GI, LEHMANN LK & Coll (1986) : J.Interfer.Research., 6 : 389-96.
(5)   : GUY-GRAND B (200) : Cah.Nutr.Diét., 42 (3) : 117.
(6)    : LAFONTAN M (2007) : Cah.Nutr.Diét., 42 (2) : 79-83.
(7)    : POISSONNET C, BURDI A & Coll (1983) : Early Hum.Dev., 8 : 1-11.
(8)    : POITOU C, CLEMENT K (2007) : Cah.Nutr.Diét., 42 (2) : 90-6.
(9)   : RICHE D (2007) : « Micronutrition, santé et performance », De Boeck Ed. 600 p.
(10)  : RUBIO D, RIVIERE D- (2007), « Kinésithérapie scientifique », n° 478, p 42.
(11)  : TRAYHURN P (2005) : Endocrinology, 146 : 1003-5.
(12)  : TREMBLAY A, DESPRES JP & Coll (1984) : Int.J.Obes., 8 : 641-8.
(13)   : WEILL P (2007) : “Tous gros demain?”, Plon Ed.
(14)  : WEILL P, SCHMITT B & Coll (2002) : Nutr.Clin.Métab., 16 (Suppl.1) : 7-28.
(15)  : WEILL P, SCHMITT B & Coll  (2002) : Ann.Nutr.Metab., 46 : 182-91.
(16)  : ZIEGLER O, TREBA A & Coll (2007) : Cah.Nutr.Diét, 42 (2) : 85-9.

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